La globalisation, en projetant sur la scène mondiale de nouveaux acteurs, avait un temps laissé penser que l’Europe était devenue marginale. La crise ukrainienne démontre au contraire que notre continent reste absolument décisif dans la détermination des équilibres mondiaux.
Deux scénarios se présentent aujourd’hui :
Le premier est celui d’une Europe qui reste agrippée aux États-Unis, à la fois au travers du solide lien historique de l’OTAN et de la présence massive de bases américaines sur nos territoires, et en demeurant dépendant du « grand-oncle » du point de vue énergétique en renonçant à tout ou partie des approvisionnements en provenance de la Russie. En outre, a lieu actuellement la définition d’un traité de libre-échange [dénommé TAFTA pour Trans-Atlantic Free Trade Agreement ou TTIP pour Transatlantic Trade and Investment Partnership) entre l’Union européenne et les USA qui nous lierait de façon encore plus stricte à l’Empire atlantique.
La réalisation de ce scénario éloignerait des USA le spectre du déclin qui les menace actuellement, et assurerait aussi la suprématie anglo-saxonne sur le monde pour le XXIe siècle.
L’autre scénario est celui d’un détachement progressif de l’Europe vis-à-vis des USA, une tendance que l’on peut entrevoir en Allemagne au travers de ses rapports commerciaux avec la Russie, de son « distinguo » affiché lors des entreprises impérialistes qu’ont représentées l’agression contre la Libye et les interférences en Syrie, et par l’irritation avec laquelle la nation phare de l’Europe a réagi à l’affaire du DataGate. Un éventuel futur gouvernement Front national en France imprimerait un tournant anti-atlantique à l’ensemble du continent. S’accentuerait alors un glissement de l’Europe vers la Russie, laquelle se connecte toujours plus à la Chine, matérialisant ainsi la réalité d’un Empire euroasiatique qui pousserait l’Empire atlantique à une inévitable parabole descendante.
Ces deux scénarios montrent bien que l’Europe, par sa puissance économique et technologique et avec ses centaines de millions de forts consommateurs, demeure le facteur décisif dans le sort des équilibres politiques mondiaux. Si elle décide de consolider ses rapports avec les USA, l’Empire atlantique maritime conservera sa domination, mais si elle se tourne vers la Russie, ce sera l’Empire continental qui s’imposera comme nouveau bloc hégémonique.
C’est l’enjeu de ce qui se passe actuellement en Ukraine.
Il n’est d’ailleurs pas à exclure qu’on ait fait exploser la situation précisément pour provoquer l’arrêt du flux de gaz russe vers l’Europe, et pour stopper de fait toute tentative de l’Europe de se tourner vers l’Est.
Si lors de ce bras de fer la Russie se montre déterminée, l’hégémonie américaine sur l’Europe et sur le monde déclinera de façon sans doute irrémédiable.
Les enjeux sont tellement énormes que les risques d’un nouveau 1914, après ce qui,au siècle dernier, signa le début d’une tragédie qui ne se conclut qu’en 1945, sont imminents.
L’Histoire est en train de s’accélérer. Le rythme des événements en arrive à brûler les étapes.
Nous avons connu, après l’effondrement de l’URSS, deux décennies de domination absolue de l’Empire atlantique, qui en a profité pour s’emparer d’une grande partie du monde avec l’extension de l’OTAN à des pays autrefois membres du bloc soviétique, avec l’agression contre la Serbie qui a réduit la péninsule balkanique à un protectorat américain, avec l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, et le massacre de la Libye, démembrant des nations entières et s’attribuant un droit illimité à intervenir dans les affaires internes d’autres pays, ce qui a créé des précédents qui aujourd’hui se retournent contre ceux qui les ont imprudemment provoqués.
En ce début de deuxième décennie du nouveau millénaire, les choses changent très rapidement. Une Russie qui semblait à genoux est en train de se reprendre à une vitesse surprenante. Son alliance toujours plus probable, même au niveau militaire, avec la Chine permettrait de mettre en commun des ressources économiques et militaires de premier ordre, avec une population de presque deux milliards d’individus, et avec l’avantage de pouvoir manoeuvrer en interne en cas de guerre mondiale.
Tout cela est loin d’être fantaisiste.
Nous prenons simplement acte de réalités qui naissent sous nos yeux.
Le monde se trouve aujourd’hui à un nouveau tournant, et le choix des Européens en déterminera le sort.
La bagarre pour le contrôle de l’Europe a déclenché les deux guerres mondiales du siècle dernier, cette même bagarre pourrait être la cause du premier conflit global du XXIe siècle.
Sarayevo-Danzig-Kiev ?
Luciano Fuschini
Le 27 avril 2014
Source : Il giornale del Ribelle
Traduction : IlFattoQuotidiano.fr
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