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Nov 29

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Massimo Fini : Rien ne peut plus nous sauver de la bulle spéculative [+ Vidéo]

Traditionnellement, les fonctions de l’argent sont au nombre de quatre :

  1. Mesure de la valeur
  2. Intermédiaire dans l’échange
  3. Moyen de paiement
  4. Dépôt de richesses

Rien à dire des trois premiers. Mais ôtons-nous de l’idée que l’argent est une richesse ou même la représente. Pris dans sa globalité, l’argent n’est rien, absolument rien. Les Espagnols s’en sont aperçus à l’aube du XVIIe siècle quand après avoir volé aux Indiens d’Amérique tout ce qu’ils pouvaient détenir d’or et d’argent (la monnaie d’alors en Europe) ils se retrouvèrent plus pauvres qu’avant. Dans son Mémorial de la politique, Gonzalez de Cellorigo écrit avec une lucidité exacerbée : « Si l’Espagne est pauvre, c’est parce qu’elle est riche. »

Et Pedro De Valencia d’affirmer en 1608 :

« Le mal est venu de l’abondance d’or, d’argent et de monnaie, qui ont toujours été le venin destructeur des cités et des républiques.
On croit que l’argent est ce qui assure la subsistance, mais ce n’est pas ainsi. Les terres exploitées de génération en génération, les troupeaux, la pêche, voilà ce qui garantit la subsistance…
Chacun devrait cultiver son lopin de terre et ceux qui vivent aujourd’hui de la rente et de l’argent sont des personnes inutiles et faignantes qui mangent ce que les autres sèment. »

Voilà un bon argument pour [la syndicaliste] Susanna Camusso(*) et aussi pour la gauche si toutefois, après avoir tout accepté, l’argent, le Marché et la globalisation (puisque l’industrialisation, la pourriture par excellence, elle l’avait de toute façon dans le sang, avec Marx) elle était encore capable de faire quelque chose véritablement de gauche.

Comment les dirigeants de ce monde ont-ils réagi à la crise des ‘subprimes’ de 2008 qui a suivi la banqueroute du Mexique en 1996, le crac des ‘tigres asiatiques’(**) en 1997, et la faillite de l’Argentine en 1999 ? En injectant dans le système encore plus de venin, comme le dirait De Valencia, c’est-à-dire de l’argent, créant ainsi une gigantesque bulle spéculative qui un jour ou l’autre nous retombera dessus avec des effets dévastateurs sur l’ensemble de la planète.

Tant que le peuple a eu un cerveau pour réfléchir, c’est-à-dire avant d’être influencé par les journaux, il s’est toujours grandement méfié de l’argent, y décelant une arnaque. Et pas seulement le peuple. Aristote, qui dans Éthique à Nicomaque fut le premier à traiter scientifiquement de l’économie, soutenait que l’argent étant par nature abstrait et donc stérile « ne pouvait pas engendrer d’autre argent. »

Il se trompait, mais jusqu’à un certain point seulement. C’est aussi grâce à l’Ipse Dixit de l’École scolastique, par sa discussion plus subtile, outre les aspects religieux (le temps appartient à Dieu, et donc à tous, et ne peut par conséquent être l’objet d’un marché) que l’Église du Moyen-âge est parvenue à mener une généreuse et souvent victorieuse bataille, non seulement contre l’usure, comme on l’appelle pudiquement, mais aussi contre les intérêts.

Mais c’est finalement le ‘marché’ (que l’on désigne aujourd’hui par ‘l’entrepreneur’) avec la logique de l’investissement, qui a prévalu. Au présent tranquille et circulaire s’est substitué un futur dynamique et insondable, qui après deux siècles et demi d’une chevauchée irrésistible nous a amenés à la situation actuelle sous la forme d’une équation insoluble : nous devons croitre, mais nous ne pouvons plus croitre. Les ‘Lumières’(***) nous ont fait croire que nous étions des animaux intelligents. Nietzsche, qui y voyait clair, avait pourtant écrit :

« Quelque part dans un recoin éloigné de l’univers scintillant, dispersé par d’innombrables systèmes solaires, il y eut une fois un astre sur lequel des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus superbe et la plus mensongère de l’histoire universelle, mais cela dura à peine une minute. Après quelques instants durant lesquels la nature retint son souffle, l’astre se congela et les animaux intelligents furent obligés de mourir… Des éternités ont passé d’où il était absent; et s’il disparaît à nouveau, il ne se sera rien passé. »
 

Par Massimo Fini – 25 nov. 2013

 

Notes de traduction :

(*) Susanna Camusso, secrétaire générale du syndicat italien Confédération générale italienne du travail (CGIL), l’équivalent de la CGT en France.

(**) Référence à la crise économique asiatique qui a touché les pays de l’Asie du Sud-Est (les ‘tigres’ asiatiques) à partir de juillet 1997, puis qui s’est propagée, avec une moindre ampleur, à d’autres pays émergents : Russie, Argentine, Brésil (surnomms les ‘dragons’).

(***) Le siècle des Lumières est un mouvement intellectuel lancé en Europe du xviiie siècle, dont le but était de dépasser l’obscurantisme et de promouvoir les connaissances ; des philosophes et des intellectuels encourageaient la science par l’échange intellectuel, s’opposant à la superstition, à l’intolérance et aux abus des Églises et des États.

 

Source www.massimofini.fr

 

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