La question de la sortie de la zone euro de certain pays européens commence à prendre de l’ampleur, avec l’évolution récente de la situation en Grèce, à Chypre, mais aussi en Italie avec la percée de Beppe Grillo qui entend soumettre cette décision au référendum populaire. Mais en l’absence d’un réel débat argumenté, et vu à la fois le tabou que cette question constitue dans les médias et la complexité des enjeux, il est bien difficile à chacun de se faire une opinion sur la faisabilité de tel ou tel scénario et sur les conséquences de la sortie de l’euro de pays majeurs comme l’Italie ou la France. Voici le point de vue tranché de Claudio Borghi, un économiste italien, professeur à l’université de Milan, dont la position peut se résumer ainsi : "C’est tout à fait gérable, voire souhaitable, pour l’Italie".
VIDÉO : Interview de Claudio Borghi(*)
L’italie peut-elle sortir de l’Euro ?
L'italie peut-elle sortir de l'Euro ? "C'est… par Ilfattoquotidianofr
Interview parue sur ForexInfo.it, le 12 mars 2013
Forexinfo interview Claudio Borghi Aquilini, économiste, éditorialiste et professeur à l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan, où il enseigne l’Économie des Intermédiaires financiers, l’Économie des sociétés de crédit et l’Économie et le marché de l’Art.
Après son diplôme en Sciences économiques et bancaires à l’Université catholique du Sacré-Coeur de Milan, il a décroché le prix « Associazione Studi di Banca e Borsa” et le prestigieux prix “Agostino Gemelli”.
Son livre “Investire nell’arte” (Investir dans l’Art) est en vente depuis janvier 2013, chez Sperling & Kupfer, avec une préface de Francesco Micheli ; un livre dans lequel Borghi montre comment, au beau milieu de la crise, il est possible d’investir avec sagesse sur le marché de l’Art, un secteur en croissance constante et qui représente d’importants avantages fiscaux.
Voici donc l’interview de l’économiste de Milan sur les questions économiques et politiques les plus récentes qui nous concernent tous.
Q : Sortie de l’euro : la question est sur toutes les lèvres désormais. Outre la question de savoir s’il s’agit d’une véritable possibilité concrète sur laquelle on peut déjà commencer à parler du point de vue pratique, est-ce vraiment opportun pour notre pays en particulier ?
R : J’aime bien quand vous dites “c’est sur toutes les lèvres», car il n’y a pas si longtemps, lorsque j’ai, avec quelques autres – très peu – soulevé le problème de la sortie de l’euro, j’ai été accueilli comme une espèce d’original. Le temps me donne évidemment raison, et je crains que ce ne soit la même chose avec ma prévision selon laquelle nous sortirons très tard de l’euro, et de la pire des façons. Pour moi, la future sortie de l’Italie de la zone euro fait partie des certitudes, et pas d’une simple « possibilité concrète», car les alternatives (Union européenne totale avec mise en commun des dettes et transferts internes d’argent de type nord/sud) ne sont pas possibles de façon réaliste.
Les avantages pour l’Italie seraient multiples, mais j’en donnerai un seul : avoir un taux de change adapté à notre économie. Actuellement, nous avons une monnaie trop forte par rapport à ce qu’il conviendrait d’avoir et cette “force” est en réalité un poids insupportable pour nos entreprises qui vient s’ajouter à nos insuffisances étatiques déjà bien connues. Si l’on suppose qu’en sortant de l’euro, la nouvelle monnaie était dévaluée de 25 % par rapport à l’euro, cela signifie simplement qu’un produit italien part avec un handicap de proportions identiques à ce qui constituerait le juste prix. Tout cela en plus de nos faiblesses notoires (impôts, justice, etc…). Impossible d’imaginer ne pas succomber à la concurrence.
Q : Serait-il plus facile, au lieu d’en arriver tout de suite à une dislocation totale de la monnaie unique, de faire un premier pas, avec la formation d’un euro du nord et un du sud, comme le propose l’Allemagne ?
R: je préfèrerais comme concept une refonte complète des zones monétaires, avec plusieurs monnaies pour les différentes zones, non nécessairement calquées sur les actuelles frontières nationales. Mais en l’absence d’une meilleure solution, la segmentation en deux de la zone euro constitue une solution pour un rééquilibrage partiel plus facile à gérer, car la sortie “par le haut” d’un groupe de pays éviterait certains risques et avant tout celui de la “course aux distributeurs de billets” que déclencherait inévitablement la peur d’une dévaluation.
Q : Quelle pourrait être la solution pratique entre austérité et croissance ?
R: C’est simple, il faut être anticycliques. En période de récession, on ne fait pas l’austérité ! C’est en période de croissance qu’on peut tailler dans les dépenses [de l’État]. En récession, on contrôle davantage le travail, en croissance on suspend l’article 18 et on fait en sorte que les sociétés se restructurent au mieux. En récession on abaisse les taxes, en croissance on les augmente. Penser qu’en pleine récession, si on taille dans les dépenses, en licenciant les gens et en augmentant les taxes, on n’aggrave pas la récession, c’est comme croire au père Noél.
Q : En tant qu’économiste expérimenté, d’après vous, quel est le premier point que le prochain gouvernement devra changer drastiquement pour assurer à l’Italie une remontée de la pente ?
R : Il faut en tout premier lieu éclaircir le cadre européen, car pour le moment, nous avons cette mesure absurde du « pacte budgétaire ». A ce jour, pour continuer notre chemin avec l’Europe, des décisions évidemment erronées ont été prises, sans rien obtenir en échange. Ça suffit. En outre, il nous faut un accord bilatéral de trêve fiscale : les gens ne dépensent plus aussi parce qu’ils ont peur de nouvelles taxes, les partis feraient bien de s’accorder pour que toute intervention sur les impôts dans les années à venir soit seulement dans le sens de la baisse, sans aucun réajustement qui finit toujours par créer de l’incertitude. Chaque citoyen ou chaque entreprise devrait être sûr qu’il n’y aura pas de nouveaux impôts, indépendamment de son revenu et de sa condition. Ceux qui existent aujourd’hui sont déjà bien trop importants, à tous points de vue.
(*) Claudio Borghi Aquilini : il commence à travailler à la Bourse à 19 ans comme « facteur » pour un agent de change, et parvient rapidement à progresser vers des postes de plus haut niveau. Il passe responsable des « Intermédiaires dérivés » chez Deutsche Bank Sim, avant d’être nommé responsable du Trading en actions pour Merrill Lynch Italia, en enfin Managing Director et responsable de l’actionnariat pour l’Italie de nouveau chez Deutsche Bank. Il se retire en 2008 pour de consacrer à l’enseignement et à l’écriture d’articles. Il est diplômé en Sciences économiques et bancaires à l’Université catholique du Sacré Cœur de Milan, et a gagné les prix Associazione Studi di Banca e Borsa et le très prestigieux prix Agostino Gemelli. En 2006, il obtient le poste d’enseignant du cours d’Économie des intermédiaires financiers toujours pour l’Université catholique, auquel s’ajoutent ensuite les chaires d’Économie des sociétés de Crédit, et d’Économie et Marché de l’Art à l’Université Luiss de Rome. Il est depuis plusieurs années éditorialiste économique pour le quotidien [de Berlusconi] Il Giornale. Il a organisé avec le journaliste de Radio24 Simone Spetia, “Spread 140”, le premier forum d’information économique sur Twitter, qui s’est tenu dans le grand amphi de l’Université catholique en mai 2012.