Le cas qui se rapproche le plus de ce qui se passe en Crimée est celui du Kosovo, comme certains l’ont finalement remarqué en Italie(*). Au Kosovo les Albanais, devenus majoritaires ces dernières décennies, réclamèrent la sécession de la Serbie. Les indépendantistes, entrainés et armés par les Américains, menèrent la guérilla et utilisèrent également le terrorisme, tandis que l’armée serbe et les milices paramilitaires (‘les Tigres d’Arkan’) répondaient avec dureté. Deux raisons s’affrontaient : celui des indépendantistes albanais et celui de la Serbie qui voulait conserver l’intégrité de ses frontières. Les Américains décidèrent que la raison était du côté de la partie des indépendantistes et pendant 72 jours ils bombardèrent une grande ville d’Europe, Belgrade, capitale d’un pays, la Serbie, qui entre autres choses, avait le tort gravissime d’être restée l’unique pays pro-communiste en Europe. On dénombra 13000 morts, dont 5500 qui succombèrent sous les bombes et le reste dans les affrontements qui eurent lieu au Kosovo entre Albanais et Serbes.
En 2008, les Albanais proclamèrent unilatéralement leur indépendance qui ne fut pas reconnue par tous, mais qui l’est de fait. Entretemps, au Kosovo s’était opéré le plus grand « nettoyage ethnique » des Balkans, puisque des 360 000 Serbes qui y vivaient, il n’en reste que 60 000.
Entre l’affaire de la Crimée et celle du Kosovo, il existe pourtant quelques différences. Le Kosovo, considéré comme le « coeur de la patrie serbe » appartient depuis des siècles, historiquement et juridiquement, à la Serbie, alors que la Crimée ne fait partie de l’Ukraine que depuis quelques décennies, ayant constitué un « cadeau » de Kroutchev dans le contexte de la Fédération soviétique. La Crimée, habitée en majorité par des Russes ou des russophones, possède des frontières communes avec la Russie. L’Amérique, de toute évidence, n’a pas de frontière avec le Kosovo, étant à 10 000 km de là. Le très démocratique Bill Clinton, pour expliquer à ses concitoyens les raisons de l’intervention américaine, dut prendre une carte du monde et pointer où se trouvait ce Kosovo dont les Américains ignoraient jusqu’à l’existence. L’agression américaine contre la Serbie était injustifiable, matériellement, et encore moins juridiquement, au point qu’en fait l’ONU ne donne pas son aval.
En somme, il parait difficile de soutenir que la violation de la souveraineté de l’Ukraine est « illégitime » tandis que celle de la Serbie, qui avait bien moins de justifications, voire aucune, ne l’est pas.
Les Américains ont aussi affirmé que le référendum sur l’indépendance de la Crimée « violait la Constitution de l’Ukraine ». Mais n’est-ce pas aux Ukrainiens de décider si un référendum à l’intérieur de leur propre pays viole ou pas leur Constitution, ou bien est-ce aux Américains de juger ?
Pendant ce temps-là, les F-35 et les AWACS de l’OTAN parcourent, menaçants, le ciel de l’Europe de l’Est, et le Corriere della Sera se demande, comiquement, si la nature de l’OTAN n’aurait pas finalement changé ». Le Pacte atlantique naquit comme défense collective chaque fois qu’était « menacée l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité » d’un des pays membres. C’était donc un pacte purement défensif, mais de là, violant ses propres statuts, il s’est transformé en pacte offensif. Mais la Serbie de Milosevic menaçait-elle peut-être un quelconque pays de l’OTAN ? Et l’Irak de Saddam Hussein ? Et la Libye de Kadhafi ? L’OTAN est simplement devenue « le gendarme du monde ». Qui lui a donné l’autorisation, personne ne le sait.
Massimo Fini
IlFattoQuotidiano, 15 mars 2014
(*) Riccardo Pelliccetti, Il Giornale, 12/3