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Avr 01

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Gaz de schiste : les USA devraient plutôt exporter la stupidité

Par Richard Heinberg(*)

Cette semaine, le Congrès US a convoqué des auditions sur la possible révocation de l’interdiction sur les exportations de pétrole par les États-Unis, instituée en 1970 pour promouvoir l’autosuffisance nationale en énergie, et a invité un certain nombre d’ « experts » aux liens douteux avec l’industrie pétrolière et du gaz, pour les convaincre qu’il s’agit là d’une bonne idée. Après la quasi annexion de la Crimée par la Russie, les politiques américains veulent frapper au coeur du plus grand patrimoine géopolitique du Président russe Vladimir Poutine. Si les USA fournissaient à l’Europe une quantité importante de carburant, cela réduirait de fait la dépendance du Vieux Continent vis-à-vis de la Russie, privant ainsi Poutine d’entrées financières si nécessaires. Les parlementaires des deux bords utilisent également ces auditions pour inciter l’administration Obama à accélérer les exportations de gaz naturel, comme une protection contre la menace de coupures d’approvisionnement en gaz russe vers l’Ukraine et d’autres pays.

Quatre nations d’Europe centrale, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque, ont déjà adressé une requête formelle pour les exportations américaines. Il y a juste un petit problème à propos de ces convoitises et de ces bonnes intentions. Fondamentalement, les États-Unis n’ont pas de pétrole ni de gaz à exporter. Certes, notre nation produit énormément de combustible, et les quantités ont augmenté ces dernières années. Mais les États-Unis demeurent un importateur net de pétrole et de gaz naturel. Je le répète et insiste là-dessus : les États-Unis sont encore des importateurs nets de pétrole et de gaz naturel. En 2013, les États-Unis ont produit environ 7,5 millions de barils de brut par jour, mais en ont importé tout autant. Même si le rythme de la production nationale continue à augmenter, il est probable que viendront s’y ajouter environ 1,5 million de barils par jour avant de commencer à diminuer. La probable rapidité du déclin est une question relativement controversée : l’Energy Information Administration prévoit un long « plateau » suivi d’une lente diminution, tandis que notre analyse produite par le Post Carbon Institute indique une chute bien plus rapide.

Dans les deux cas, il est extrêmement improbable que l’Amérique puisse jamais redevenir un exportateur net de pétrole. L’an dernier, les États-Unis ont produit 680 milliards de m3 de gaz naturel, une quantité record. Pourtant, nous avons encore importé 71 milliards de m3 de gaz ( 11 % du total).

La courbe de production du gaz aux États-Unis s’est stabilisée et d’après nous, il est probable qu’elle commence à décliner dans les prochaines années, justement quand seront mis en fonction les nouveaux terminaux pour l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). Malgré cela, des affirmations sensationnelles ont été lancées à propos du potentiel américain en pétrole et en gaz, maintenant que l’industrie a développé les techniques de « fracking » et celles de la perforation horizontale dans les formations de schistes du Texas, du Dakota du Nord, de la Pennsylvanie et ailleurs encore. Mais, comme je l’explique dans mon livre ”Snake Oil: How Fracking’s False Promise of Plenty Imperils Our Future”, ces affirmations sont tout à fait exagérées. Une évaluation beaucoup plus précise des projections dans ce secteur nous vient de la publication en avant-première d’Oil & Gaz Journal, qui parle de réduction des réserves estimées qui se rapproche de 35 milliards de dollars pour les 15 plus grands opérateurs du gaz de schiste.

Le Journal écrit ceci : « les analyses récentes d’Energy Aspects, une société de consulting sur les matières premières, indiquent six années de dégradation progressive de la performance financière des 35 sociétés indépendantes spécialisées dans le gaz et le pétrole de schiste aux États-Unis. » Cette dégradation de la performance financière survient malgré l’augmentation de la production et le passage, depuis 2010, des perforations de gaz naturel à celles de combustibles liquides d’une plus grande valeur ajoutée (brut et GNL). L’Oil & Gas Journal cite l’analyse d’Ivan Sandrea, un employé d’OIES et collaborateur de premier plan d’Ernst & Young London, qui suggère ceci : « Si les performances financières ne s’améliorent pas, les marchés de capitaux arrêteront de soutenir les coûteux forages pourtant nécessaires pour maintenir la production de ressources non conventionnelles. » Sandrea prévoit que « certains opérateurs de l’industrie devront se restructurer et se concentrer principalement sur les zones où se trouvent les ressources les plus attrayantes, qui représentent 40 % des estimations actuelles. » Et donc, que pourrions-nous bien parvenir à exporter ? En réalité, le fait de parler d’exportations de pétrole et de gaz n’est pas le résultat d’un excès de capacité productive ou d’un calcul géopolitique, mais seulement de la bonne vieille recherche de profits.

L’industrie pétrolière américaine est actuellement empêtrée dans le problème dû au fait que la qualité du pétrole produit dans le pays (brut léger provenant des gisements de Bakken et d’Eagle Ford) ne correspond pas à la qualité que peuvent accepter nos raffineries (qualités plus lourdes de brut, par exemple celle des sables bitumineux du Canada). L’abolition des contraintes légales sur l’exportation de pétrole par les États-Unis aiderait grandement les raffineurs à résoudre ce problème. Dans le même temps, l’industrie américaine du gaz naturel souffre du faible prix de vente interne, un problème dont le seul et unique responsable est l’industrie elle-même. Au cours des dernières années, les compagnies de gaz de schiste ont produit en excès, pour pouvoir augmenter la valeur de leur « assets » (licences de forages pour des millions d’hectares), faisant ainsi mécaniquement baisser les prix en dessous des coûts réels de production. Si un peu de gaz des États-Unis pouvait être exporté grâce aux terminaux GNL actuellement en construction, cela ferait augmenter les prix sur le marché interne. Mais cela pourrait aussi rendre vaines les nombreuses promesses du secteur de tenir les prix bas, une promesse qui a incité l’industrie chimique à reconstruire des établissements de production nationale et qui a séduit les entreprises productrices d’électricité en les faisant passer de la combustion du carbone à celle du gaz naturel, mais après tout, il s’agissait simplement de promesses.

Voilà pour la vérité sur toute cette agitation autour des exportations de gaz et de pétrole US. Quant à l’idée de faire trembler de peur Vladimir Poutine devant la marée de brut et de gaz naturel provenant des USA, laissons tomber. Poutine est certainement en train de trembler, mais seulement de crises de fou rire. L’Amérique devrait plutôt s’essayer à l’exportation de la stupidité. Puisque de cette ressource, il semble bien qu’elle en ait à revendre.

Richard Heinberg
Source : http://www.resilience.org/stories/2014-03-27/export-stupidity

 

Note : (*) Richard Heinberg : Journaliste, conférencier et membre du principal corps enseignant du New College of California où il dispense un cours sur « La culture, l’écologie et la collectivité durable », il a une demi-douzaine de livres à son actif, (dont Powerdown et Pétrole : la fête est finie !, véritable livre de référence sur le sujet) qui lui ont valu plusieurs récompenses et le rôle de principal communicant au sein de l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier).  (source : Editions Demi Lune)

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