Quand un auteur de science-fiction nous met devant la réalité du monde d’aujourdhui, le résultat est étonnant et tellement perspicace ! Nous vous livrons ici (en deux parties) l’analyse sans concession que fait Roberto Quaglia (*) de l’état actuel des médias mais surtout de l’état actuel de leurs clients, c’est-à-dire nous, leurs lecteurs; que nous fassions partie de ceux qu’il appelle les "Confiants" ou que nous soyons des "Désenchantés" de l’information, cet article nous concerne tous.
L’écrivain et auteur de science-fiction italien Robert Quaglia
– PREMIÈRE PARTIE –
Le monde d’aujourd’hui se divise en deux catégories : les Confiants et les Désenchantés.
Et celui qui se définit comme “complotiste” te porte préjudice à toi aussi – dis-lui d’arrêter !
(Certains ne comprennent pas et continuent à t’appeler “complotiste” ? Dis-leur d’aller se faire voir ailleurs ! Ou plutôt dis-leur d’aller voir cet article)
Par Roberto Quaglia – roberto.info
Depuis quelques années, je suis systématiquement attaqué par des gens visiblement frappés d’hallucinations, qui m’accusent plus ou moins explicitement d’être un “complotiste”. Alors, mettons les choses au clair dès maintenant : bien que ce mot semble exister, il n’a aucun lien significatif avec notre monde réel. Je dis “semble exister”, car dans le dictionnaire Zingarelli [équivalent du Larousse – NdT] on ne le trouve pas. Pas même dans le Gabrielli. Le correcteur orthographique de mon éditeur de texte me le souligne en rouge – pour lui non plus ce mot n’existe pas. Pendant des milliers d’années, il n’y a jamais eu de “complotiste”, tant et si bien que le mot n’existait pas. Et puis est survenu le 11 Septembre – et comme on n’arrête pas de nous le répéter à toutes les sauces – rien n’est plus comme avant. Même au sens linguistique.
Donc, maintenant, le mot “complotiste” existe, sorte de néologisme du 21e siècle. Et pour les gens qui l’utilisent, il signifie “celui qui voit des complots partout”. Autrement dit, une espèce de paranoïaque, ou encore mieux, un paranoïaque d’opérette, une espèce de visionnaire louche dont on peut se moquer à volonté avec une morgue gonflée d’un ridicule sentiment de supériorité.
En effet, il existait déjà un vocable pour représenter ce sens, à savoir “comploteur”. Le fait que personne ne le connaisse en dit long sur l’influence historique des “comploteurs” en ce qui nous concerne. En outre, le sens principal du verbe “comploter ” est : “qui fomente des complots, des conspirations, des intrigues”. En somme, il y a une certaine confusion autour de ce thème.
Le vrai problème se trouve à la racine. C’est le mot “complot” qui s’adapte mal aux discussions sur le 11-Septembre, ou sur l’origine anthropogénique [artificielle –NdT] des nouveaux virus dont on nous rebat les oreilles aux journaux télévisés, ou sur la véracité ou non des expéditions sur la Lune et sur tant d’autres faits de plus en plus remis en question.
Citons le dictionnaire Gabrielli : “Complot : conspiration, intrigue, machination, entente secrète à fins malveillantes. Un complot contre l’État, un complot pour mutinerie | Aussi dans un sens moins grave. Un complot entre élèves pour se moquer de l’un d’eux”.
Le sens qui apparaît est celui d’une intrigue entre quelques individus – c’est-à-dire quelque chose de très différent de la stratégie complexe des grandes nations et de ce qu’on appelle les grands pouvoirs. Une nation planifie et agit, elle ne complote pas. Le complot se fait du bas vers le haut des hiérarchies, et non de haut en bas. L’autre élément qui n’a rien à voir [avec le 11/9 – NdT] est la consonance négative implicite du mot “complot”. Les complots sont intrinsèquement malveillants. Je me rends compte que nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à raisonner si ce n’est en termes de Bien et de Mal, mais quand il s’agit d’examiner les mobiles des actions des grandes nations et/ou des grandes forces au pouvoir, les catégories du Bien et du Mal entrent bien peu en jeu, voire même pas du tout. A ce niveau-là, le Bien et le Mal sont seulement des instruments de marketing très bien adaptés au grand public, bien que n’ayant que très peu de liens avec la réalité des mobiles. Celui qui vole une pomme finira peut-être en prison, mais la grande nation qui attaque militairement une plus petite en violant les lois internationales qu’elle a elle-même contribué à formuler ne sera pas sanctionnée. Au contraire, son leader sera éventuellement récompensé par le Prix Nobel de la Paix, et lors de son discours de remise de Prix, il pourra s’exhiber en faisant une élégante apologie de la guerre, recueillant des applaudissements mérités. Le Bien et le Mal se mélangent ici de façon surréaliste justement parce qu’au-delà des conventions utiles à la vie en société, en réalité, ils n’existent pas. Mais les conventions sociales, utiles aux individus pour la vie en société, s’appliquent mal aux grandes forces qui font l’Histoire.
Les États-Unis bombarderont l’Afghanistan tant qu’ils le voudront et le pourront, et c’est simplement l’Histoire du monde – ce n’est pas un complot, ni la conséquence d’un complot.
Pourquoi le 11 Septembre, qui fut invoqué pour justifier la guerre en Afghanistan, n’est pas un “complot” ? Ce fut une opération militaire extrêmement complexe au service d’une stratégie plus vaste et à plus long terme encore que ne l’ont envisagé les millions de nouveaux “complotistes”. Et le juger en termes de Bien et de Mal (comme cela se fait pour les complots) peut seulement nous permettre de nous sentir pieux et bons, et dignes de récompenses célestes, mais a peu d’impact, voire aucun, sur la réalité des événements. Les Américains ne font pas la guerre en Afghanistan parce qu’ils sont méchants. Ils la font parce qu’ils peuvent la faire et qu’ils pensent que cela leur est utile. Il est possible qu’ils se trompent (Hitler et Mussolini, en leur temps, se trompèrent dans leurs calculs, et il ne fait aucun doute que la guerre ne leur apporta pas tous les résultats escomptés), ou bien qu’ils aient raison, seul l’avenir le dira.
Il nous faut mettre tout cela au clair pour nous libérer une bonne fois pour toutes du mythe des “complots”, à la base des néologismes horribles et trompeurs que sont “complotisme” et “complotiste”.
Au niveau des agissements des grandes nations et des grands pouvoirs, les complots n’existent pas. On y trouve au contraire des stratégies élaborées, complexes, des opérations militaires sophistiquées et des “psyops” ou opérations de guerre psychologique.
Le projet ultra-secret “Manhattan”, par lequel les États-Unis développèrent durant la Seconde Guerre mondiale la première bombe atomique, n’était pas un complot.
Les attentats terroristes “sous fausse bannière” (= perpétrés sous de fausses apparences pour pouvoir en accuser l’ennemi et justifier ainsi sa propre réaction) tellement à la mode de nos jours, l’hypothèse selon laquelle les nouveaux virus de la grippe sont créés en laboratoire, le contrôle désormais presque total des grands médias, tout cela n’a absolument rien à voir avec la notion de “complot”. Lorsque les nazis et les fascistes contrôlaient toute la presse en Allemagne et en Italie, ce n’était pas le fruit d’un “complot”. Ils la contrôlaient, un point c’est tout ! Alors arrêtons de nous jeter ce mot à la figure ! On nous l’a imprimé de force dans nos cervelles pour rajouter à la confusion ; eh bien qu’il aille se faire voir ailleurs !
Paradoxalement, le plus éclatant complot digne de ce nom est justement celui théorisé par la version officielle du gouvernement états-unien sur les événements du 11-Septembre. Dites-moi un peu si ce n’est pas un complot exemplaire : un petit groupe d’individus très malveillants (les 19 pirates de l’air), entraînés dans une caverne afghane par l’actuel chef du Spectre…euh, je voulais dire d’al-Qaida (excusez le lapsus, j’étais habitué à ce que les bases secrètes dans les grottes de pays exotiques soient celles des ennemis de James Bond, et servent uniquement à exploser en immenses feux d’artifice pour faire comprendre au spectateur que le film est sur le point de s’achever), complotent pour attaquer par surprise le pays le plus puissant du monde, le 11 septembre 2001, dans le but de lui donner une bonne leçon. Voilà, ça c’est ce qu’on peut appeler un complot, tel que le définit le dictionnaire de la langue italienne. Et si on voulait utiliser à tout prix l’horrible vocable “complotiste”, il faudrait conclure que les seuls vrais “complotistes” sont en réalité ceux qui soutiennent la version officielle du gouvernement américain sur les faits du 11-Septembre. Rappelons-nous que “complotiste” signifierait “ceux qui voient des complots partout”, et il me semble que la répétition incessante, depuis des années, de messages alarmistes à propos de “cellules dormantes d’al-Qaida” qui seraient prêtes à passer à l’action et à nous attaquer, même si cela ne se produit pratiquement jamais (et lorsque cela se produit, une analyse rapide amène immédiatement à soupçonner une opération “sous fausse bannière”), cela correspond assez bien à “voir des complots partout”. Sans parler du fait de fouiller pendant des années tous les voyageurs qui, dans les aéroports, prennent l’avion en toute innocence pour partir en vacances, sans jamais en attraper un seul – je dis bien un seul – qui cherche à embarquer dans un avion pour le détourner, cela me paraît là aussi correspondre à “voir des complots partout”. Si pendant toutes ces années des millions et des millions de perquisitions systématiques dans tous les aéroports n’ont jamais permis de bloquer un seul terroriste qui voulait s’en prendre à un avion de ligne, alors que, dans le même temps, il a été démontré qu’avec un minimum d’ingéniosité on pouvait amener des armes en céramique à bord (un journaliste de La Repubblica l’a fait), une personne normale dotée de logique parviendrait à la conclusion évidente qu’il n’y a tout simplement personne au monde qui ait envie de foutre le bordel dans un avion de ligne. Seuls ceux qui insistent pour “voir des complots partout” continueraient à fouiller encore des millions de passagers, les brimant au moyen d’interdictions absurdes d’amener à bord dentifrice, crèmes et parfums pour la peau avec lesquels ils affirment qu’il est possible de confectionner des bombes dans les toilettes d’un avion. S’il existe un “complotiste”, c’est indiscutablement celui qui projette sur les autres cette étiquette de merde [désolé, c’est encore pire en italien – NdT]. [Note de l’auteur : à peine ai-je rédigé cet article que la nouvelle est tombée à propos de cet idiot qui a embarqué dans un vol à destination des États-Unis avec un paquet d’explosifs caché entre les parties génitales. Que ceux qui se laissent impressionner par une telle mise en scène, bien évidemment destinée à aller bombarder le Yémen, commencent par aller voir et lire l’opinion de Webster Tarpley sur le sujet.]
Je ne m’étends pas davantage sur ce thème parce que d’autres sur la Toile l’ont déjà fait avec suffisamment d’élégance et d’arguments pertinents. (Ceux que ça intéresse peuvent approfondir en cliquant ici, ou ici, mais même ici ça ne fait pas de mal).[ Articles en italien non – encore – traduits en français – NdT]
Maintenant que nous avons écrabouillé ce mot “complotiste”, que nous reste-t-il ?
Il reste une grande, une immense division parmi les personnes qui composent la société occidentale. Autrefois, les divisions au sein de la civilisation occidentale s’appelaient “lutte des classes” et la séparation était représentée par une métaphore spatiale, la répartition du cadre politique en “droite” et “gauche”. Ce monde-là n’existe plus, même si certains ont encore des hallucinations. Dans l’ensemble du monde occidental, il n’existe plus de “droite” et de “gauche” politique, au-delà d’une simulation théâtrale par ailleurs de moins en moins crédible, et d’une différence objective anthropologique entre qui “se sent” de droite et qui de gauche. Non. La séparation béante qui est en train de se former au sein de la société occidentale est entre ceux qui ont cessé de croire plus ou moins aveuglément aux informations concoctées par le circuit orthodoxe des médias, et ceux qui, au contraire, continuent d’y croire. C’est là un schisme important, puisqu’il conduit à deux conceptions mentales du monde extraordinairement différentes, à des années-lumière l’une de l’autre. C’est donc un phénomène profondément idéologique. Et personne ne l’a encore décrit comme tel. Sur le plan intellectuel, on répète fort justement que les idéologies sont mortes. Les anciennes. Mais personne ne parle des nouvelles. Tous taisent ce récent, profond et irrévocable schisme des critères avec lesquels les gens forment leurs propres modèles de réalité.
Nous pourrons, pour le moment, appeler ces deux factions les “Confiants” et les “Désenchantés”.
Jusqu’à quelques années en arrière, nous étions tous plus ou moins “Confiants” ; dans notre esprit, ce que nous racontaient les journaux TV ou la presse collait assez fidèlement à la réalité. Nous avions conscience que les informations pouvaient être partiellement manipulées ou censurées, mais nous avions une certaine foi en ceci, que le gros de l’information qui nous atteignait avait une “masse critique” de réalité et que, donc, parmi les inévitables mensonges, ils nous communiquaient quelque chose d’utile et d’important sur les faits de ce monde.
Ce système a littéralement volé en éclats avec les dix premières années d’Internet, et à cause justement d’Internet.
Même si le bruit de fond sur Internet a grandi au point de rendre problématique la recherche de ce qui peut effectivement nous intéresser, la Toile a malgré tout permis à tous les individus qui dénichent dans le Village Global une information méconnue, mais importante, ou qui parviennent à élaborer des raisonnements brillants sur des thèmes critiques, de les partager avec tous ceux que cela intéresse de par le monde. Historiquement, les époques “magiques” de la culture humaine durant lesquelles l’intellect humain a donné naissance à d’inoubliables foisonnements de génies – la culture grecque, la culture latine, la Renaissance, le Siècle des Lumières, etc.… – ne furent pas le fruit de l’action de quelques individus brillants, mais bien le résultat d’un phénomène de résonance créative au cours duquel le génie et la créativité de l’un catalysent le génie et la créativité de l’autre, et ainsi de suite, dans un enchaînement admirable d’interactions positives qui élèvent l’intellect de tous. Mais il était nécessaire que les sujets concernés par ce processus partagent un même espace physique peu étendu, sinon comment auraient-ils pu se rencontrer et interagir de façon profitable ?
Aujourd’hui, Internet a augmenté les possibilités de ce processus de résonance créative en éliminant le problème de la distance physique entre les acteurs, qui même en se trouvant aux antipodes les uns des autres, peuvent partager de la même façon une sorte d’espace mental, rendant ainsi possible l’apparition de véritables groupes disséminés qui s’échangent régulièrement des informations et développent des modèles de réalité communs.
Et c’est ce processus de résonance créative sur Internet qui a généré une nouvelle catégorie du genre humain : les Désenchantés.
Pendant que les Confiants continuent imperturbablement d’alimenter innocemment l’essence de leur savoir depuis le tube cathodique adoré et parfois dans les titres des journaux qui depuis des dizaines d’années leur tiennent compagnie au petit-déjeuner, les Désenchantés, eux, ont l’impression d’avoir été chassés de l’Eden de l’information “mainstream” des soi-disant vérités auxquelles ils ne parviennent plus à croire.
Pour le Confiant, la vie est plutôt simple : le processus de compréhension et de filtrage de l’information sur les événements du monde est délégué aux journaux télévisés et à sa presse préférée, ce qui lui épargne la fatigue, la perte de temps et le stress de devoir distinguer les informations importantes de celles fallacieuses ou insignifiantes.
Pour le Désenchanté, à l’inverse, les choses se compliquent. Même si Internet véhicule aujourd’hui des informations infiniment plus significatives que les vieux médias, la Toile ne contient pas que cela. À côté d’informations importantes et d’analyses brillantes, on trouve aussi sur Internet une quantité infinie de conneries. De surcroît, les informations utiles sont parfois mélangées aux conneries, et il faut une certaine habileté pour réussir à les extraire et en faire bon usage.
Et puisque le cerveau humain a une forte tendance à généraliser, nombreux sont ceux qui, de la catégorie des Désenchantés, passent à celle des Confiants inconditionnels de toutes les bizarreries qu’ils trouvent sur Internet. Ceci explique pourquoi beaucoup de Désenchantés, après avoir cessé de croire dans les médias traditionnels, finissent tristement par prendre pour argent comptant les vantardises de personnes comme David Icke (selon lequel nous sommes tous gouvernés par des hybrides d’aliens reptiliens qui ont fusionné leur ADN avec les puissants de la Terre voilà plus de 1000 ans). En effet, des individus comme Icke ne sont pas le fruit du hasard, ils existent précisément pour attirer les nouveaux Désenchantés et les transformer en une nouvelle catégorie de Confiants inoffensifs. C’est aussi comme cela que le vieux système se défend. Icke est seulement un parfait exemple, mais la liste des faux prophètes est longue. Tout Désenchanté qui se respecte devrait dresser sa propre liste noire de faux prophètes dont les révélations ne doivent pas être prises au sérieux. (Au milieu de grosses bêtises, les faux prophètes mélangent aussi de vraies informations, sinon qui se laisserait séduire par eux ?). Ce n’est pas un hasard si les Nouveaux Confiants du Faux Prophète sont fiers de se reconnaître dans l’étiquette de “complotiste” que ceux plus perspicaces considèrent comme nettement insultante. En somme, cocus et content de l’être !
Sans en arriver à ces extrémités, il est normal que toute personne ayant perdu confiance dans l’information mainstream traverse une phase pendant laquelle elle tend à croire le contraire de ce que l’autorité traîtresse lui communique. Croire le contraire est différent de ne plus croire, et peut conduire à des erreurs grossières. Un exemple emblématique apparu dans les faits divers est celui de ce psychopathe qui a lancé une statuette sur le visage de Berlusconi. Sur Internet, une marée de Désenchantés a immédiatement rempli les forums de discussion, convaincus que tout cet épisode, pourtant bien visible sur les images télé, était une arnaque.
Le sang ? Du jus de tomate. La statuette du Duomo ? Elle l’a à peine effleuré. Certains ont même avancé l’hypothèse que la vidéo de la scène avait été manipulée numériquement. De fait, expliquent-ils, qui en a tiré un avantage politique ? Berlusconi. Et donc, comme nous l’a appris le cas du 11-Septembre, tout cela signifie qu’il a lui-même organisé cet auto-attentat. Et nous voilà devant un cas typique de Désenchantés qui, plutôt que de se limiter au scepticisme et à la question de savoir si ce qui nous est montré correspond à la vérité (et dans ce cas, la réponse est oui, car les choses se sont tout simplement déroulées comme cela), ils tombent dans le panneau de croire le contraire de la version officielle, prenant ainsi une déculottée mémorable. Car de temps en temps, malheureusement, les choses arrivent vraiment comme elles nous sont rapportées. Mais durant son parcours d’émancipation, le Désenchanté est comme un enfant qui traverse sa phase du « non », et son refus de tout ce qui lui parvient de l’autorité est absolu et total. Il est humain que ce type de phénomène survienne, après tout, de la même façon que l’enfant doit franchir cette phase du « non », l’adulte Désenchanté lui aussi doit se libérer de ce nouvel « esclavage ». Car si auparavant c’était un esclave prêt à croire tout ce qu’on lui racontait, c’est maintenant un esclave porté à croire le contraire de ce qu’on lui dit. Mais c’est toujours un esclave. Esclave de l’irréalité. Le Désenchanté doit parvenir à choisir la vision de la réalité la plus plausible, la plus probable, et chaque fois, de manière critique et pondérée. Et les idées préconçues ne l’aident pas dans ce processus.
Si le cheminement des Désenchantés vers une meilleure compréhension du monde est semé d’embûches, celui des Confiants vers une toujours plus mauvaise compréhension du monde se heurte à quelques obstacles épineux.
Les Confiants ne se posent pas la question de savoir pourquoi le nombre de Désenchantés augmente. Ils se demandent simplement pourquoi on trouve toujours plus de « complotistes », mais la curiosité, intellectuelle seulement en apparence, est en réalité du même ordre que celle de celui qui se demande pourquoi tout d’un coup il y a autant de mouches qui viennent le déranger. L’objectif n’est pas de comprendre l’écologie complexe de la mouche, mais bien de s’en débarrasser.
La BBC et le Time ont tenté d’expliquer à leurs lecteurs Confiants pourquoi le monde autour d’eux se remplissait de tous ces complotistes. L’équilibre du temps de parole impose de se poser aussi la question inverse.
L’interrogation qui tourmente fatalement tout Désenchanté est la suivante : comment tous ces gens font-ils pour rester Confiants ? La réponse a de multiples facettes. Ceux qui s’alimentent en informations au travers de la télévision et éventuellement des journaux sportifs ou « people » vivent dans une sorte de monde illusoire tout à fait stable, un vrai Truman Show de masse à l’épreuve des bombes, le Meilleur des Mondes prophétisé par Aldous Huxley voilà plus d’un demi-siècle. Même ceux qui font un pas de plus en avant et lisent les pages non sportives des journaux restent confinés dans une version édulcorée de la réalité. Ils demeurent convaincus que les journaux (du moins, ceux qu’ils lisent) sont plus ou moins libres d’écrire ce qu’ils veulent, puisque nous vivons en démocratie, et non dans une dictature. Et jusque-là, ils ne se trompent pas. Leur erreur monumentale est sur l’estimation du « plus ou moins ». Ce que les journaux leur cachent est d’une portée si vaste que leur perception de la réalité en est déformée de façon catastrophique (la mystification par le silence sur les événements du 11-Septembre en est un exemple emblématique). Cette catégorie de Confiants est généralement plus radicale dans ses opinions erronées que celle des Confiants « simplistes » qui, de fait, ne lisent pas. La conviction d’être correctement informé agit avec force contre la possibilité de découvrir que telle ou telle croyance est infondée et cela renforce la résistance à admettre qu’ils ont gaspillé toutes ces années de leur vie à se faire embobiner sur des thèmes cruciaux, par des médias en qui ils avaient toute confiance. L’humiliation d’admettre avoir été aussi stupide est proprement insupportable pour celui qui se croit intelligent. Et celui qui n’a pas la force d’avaler une telle couleuvre demeure un Confiant indécrottable.
Par Roberto Quaglia, 30 décembre 2009 – roberto.info
* * * FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE * * *
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