Je me dois de féliciter le New York Times (c’est la deuxième fois que je le fais depuis un an). Tandis que l’information italienne confirme sa déchéance morale et intellectuelle, en ignorant – comme elle le fait depuis pratiquement un mois – la guerre en Ukraine, le quotidien américain en parle de nouveau en première page.
Il le fait, évidemment, en célébrant la victoire de l’armée de Kiev et le retrait des forces rebelles vers Donetsk. Finalement – peut-on lire dans l’édition internationale du New York Times – « les soldats ont surmonté leur répugnance à tirer sur des concitoyens. » Aujourd’hui ils ont appris à « faire la différence entre les ennemis et les gens du peuple. » Vus d’en haut, depuis les avions, de loin, avec leurs mitrailleuses, distinguer les deux semble un peu difficile, mais que voulez-vous. On ne peut pas tout avoir dans la vie.
Ce qui est sûr, c’est que l’aide étrangère n’a pas manqué – admet le New York Times. Les États-Unis ont contribué « depuis le mois de mars », c’est-à-dire depuis le début, à hauteur de 23 millions de dollars d’aide, et par des systèmes de vision nocturne, des appareils de communication sophistiqués, des informations satellites, des gilets pare-balles, de la nourriture. Mais ce chiffre n’inclut pas un certain nombre d’autres formes d’aide : la réorganisation de la chaine de commandement, les centaines de « conseillers », de spécialistes en coups bas, d’experts en gestion de la propagande, etc., etc. Le coût total ? Demandez donc à Victoria Nuland, la femme aux « 5 milliards de dollars. »(*)
Le fait est qu’à force de célébrer ces événements, le plus grand quotidien du monde laisse échapper l’information selon laquelle les rebelles ont assiégé une prison à Donetsk, « probablement pour se procurer des armes. » On en conclut qu’ils n’en ont pas suffisamment. Et de toute façon, dans une prison on ne trouve pas de chars d’assaut ou de blindés, ni d’armes lourdes d’ailleurs.
Alors, la Russie leur en a envoyé, ou pas ? Finalement, la thèse selon laquelle la Russie aurait fourni de l’aide militaire en grande quantité aux rebelles semble prendre l’eau de toutes parts, même pour le New York Times.
Tout comme l’idée que la résistance armée contre le gouvernement central serait alimentée par un flux continu et abondant de volontaires qui passerait par une frontière russe poreuse.
Qu’il y ait des problèmes du côté de Poutine sur ce sujet, c’est un fait. Une vidéo est récemment parue sur YouTube montrant une altercation musclée entre le gouverneur du Donbass, Pavel Gubarev, et Sergei Kurinian, un influent nationaliste russe, qui accuse les combattants filo-Russes d’avoir mal utilisé les armes envoyées par la Russie, et même d’avoir fait preuve de lâcheté, en se retirant, abandonnant le champ de bataille à Slaviansk. Un signal contre Poutine ? Peut-être, mais sous une forme alambiquée. Cette vidéo (tournée intentionnellement, et non pas en caméra cachée) va circuler sur toutes les chaines ukrainiennes et occidentales. Et elle servira à confirmer les accusations disant que Moscou a alimenté la résistance.
En tous cas, le ton de Kiev et de Washington est celui de la victoire imminente. Celui du « Vae Victis ! ». Avant qu’une pluie de bombes ne s’abatte sur Donetsk et sur Lugansk, deux grandes villes encore pleines de civils, le vice-premier ministre, Vladimir Groysman dénonce depuis Kiev le fait que le « Donbass est victime d’une terrible attaque terroriste inspirée par la Fédération de Russie, » laquelle serait en train d’opérer une « agression au plan économique, énergétique, et de l’information »
Et pendant ce temps-là, le désormais fameux gaffeur Jen Psaki, porte-parole du Département d’État, essaie de répandre l’idée que « les séparatistes sont les seuls à avoir exercé des violences contre les civils innocents. » En somme, pour Washington, les Russes d’Ukraine seraient en train de fuir massivement vers la Russie parce qu’ils craignent d’être tués par les Russes du Donbass, et non par les avions et les chars d’assaut de Kiev.
Voilà le message schizophrène sur lequel débouche la propagande occidentale. Et c’est sans doute pour ne pas avoir à l’étaler que nos grands journalistes de la presse et de la télévision font comme les trois singes, qui ne voient, n’entendent, et ne disent plus rien.
Entretemps, dans la très démocratique ville de Kiev, on brûle sur les places publiques les livres russes (ceux écrits en russe), et on donne l’assaut aux journaux qui se hasardent à poser quelques questions sur l’avenir.
Et là où Settore Destro(*) occupe le terrain, ont lieu des représailles féroces.
Le bruit circule – de façon insistante – que depuis l’une des hauteurs qui dominent Slaviansk, celle nommée Karachun, des fosses communes soient en train de brûler, avec à l’intérieur les corps de centaines de jeunes soldats appelés. Il s’agirait de ceux – pour reprendre l’expression du New York Times – qui n’auraient pas réussi à surmonter leur répugnance à tirer sur leurs concitoyens, et qui auraient été fusillés.
Qui sait ? Peut-être que Poroshenko gagnera cette bataille. Mais les traces ne pourront pas être effacées. Pas toutes. Un jour ou l’autre, il y aura un nouveau Nuremberg pour lui. Reste à savoir qui paiera la note. À Kiev, on annonce un hiver glacial.
Giulietto Chiesa
Source : http://www.pandoratv.it/?p=1410
Traduction : ilfattoquotidiano.fr
Notes :
(*) Lire En Ukraine, l’Occident a ouvert la Boite de Pandore, Giulietto Chiesa, février 2014