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Nov 28

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La violence en démocratie est-elle légitime ?

La violence. L’éternelle question de la violence. La violence est-elle toujours illégitime ? Évidemment non. Elle est licite lorsqu’elle s’oppose à une autre violence. Dans le Droit pénal d’un État, cela s’appelle la « légitime défense ». Dans le monde politique, on considère comme légitime la violence populaire quand elle s’exerce contre un régime répressif, despotique, dictatorial. Personne ne doute un instant que la violence des « printemps arabes » contre la clique de Ben Ali en Tunisie ou de Moubarak en Égypte n’ait été légitime.

Le premier à se poser la question fut Senèque : est-il légitime de tuer le tyran ? (Le philosophe pensait à Néron, mais il se trompait de cible, car Néron fut le plus tolérant des empereurs romains). La réponse qu’apporte Senèque, et après lui, l’Histoire elle-même est : oui, il est légitime de tuer le tyran. La violence en temps de guerre, où prévaut ce qui est parfaitement interdit en temps de paix, tuer, est légitime et même nécessaire. Même si le procès de Nuremberg a donné lieu à un principe plutôt ambigu : la violence des vainqueurs est légitime, mais pas celle des vaincus pour laquelle on a créé la notion de « crime de guerre ». Le général Kesselring a été condamné à 10 ans de réclusion à cause du fait qu’à Cassino il avait osé résister aux Alliés pendant huit mois, et l’un des crimes de guerre imputés au général serbo-bosniaque Mladic est d’avoir assiégé Sarajevo. (Mais depuis quand ici-bas est-il interdit, en temps de guerre, d’assiéger une cité ennemie ? Hannibal a assiégé Sajunto pendant huit mois et lorsqu’après 17 ans de bataille épique les Romains vinrent le prendre dans la villa où il s’était réfugié, en Bithynie, ils ne voulaient pas lui intenter un procès pour « crime de guerre », mais tout simplement éliminer un ennemi qui, malgré ses 67 ans, constituait toujours pour eux un dangereux ennemi. De toute façon, le grand général anticipa leur arrivée et but le poison qu’il conservait toujours dans l’une de ses bagues.)

Toutes les grandes révolutions démocratiques sont nées dans un bain de sang. Les bourgeois contre l’alliance des nobles et des paysans, avec une certaine raison pour ces derniers puisque l’avarice économique des nouveaux propriétaires bourgeois se révèlera bien plus pesante que la brouillonne et distrayante administration de la noblesse.

 

La Révolution française vit se produire des atrocités particulièrement horribles (rien à voir avec les « viols ethniques » ; on violait également les mortes, comme la malheureuse marquise de Lamballe, d’après le récit qu’en fit Restif de la Bretonne). Pourtant, personne ne remet en cause la légitimité de ces violences.

Le problème de la violence se pose aujourd’hui pour les démocraties qui en détiennent, comme tout État moderne, le monopole absolu. La violence populaire contre un régime démocratique est-elle licite ? En théorie, non. Dans une démocratie, tous les cinq ans vous allez voter pour celui dont vous pensez qu’ils représentent le mieux vos idées et vos intérêts. Et s’il ne vous satisfait pas, la fois suivante, vous votez pour un autre. Quel besoin y a-t-il d’user de violence ? Le problème est que presque toutes les démocraties représentatives ne sont pas des démocraties, mais des systèmes de minorités organisées [que l’on pense par exemple aux 170 000 votants pour désigner le président de l’UMP en France, plus grand parti hexagonal – NdT], d’oligarchies, de castes politiques et économiques étroitement liées entre elles et qui, dans la plus parfaite légalité, peuvent soumettre à n’importe abus, injustice, ou violence, le citoyen qui ne se soumet pas. Ce ne sont pas des démocraties, mais leurs parodies ultimes. Si comme le souhaite Beppe Grillo [humoriste italien devenu homme politique de popularité croissante actuellement – NdT], les jeunes policiers s’unissaient aux jeunes du même âge contre les « responsables qui restent là à regarder en dégustant leur thé », ce serait la révolution.

Légitime si elle gagne, criminelle si elle perd. Voilà ce que nous enseigne l’Histoire.

Massimo Fini

Il Fatto Quotidiano, le 17 novembre 2012

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