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Mar 10

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Voyage au cœur de la City, où personne ne taxera jamais la Finance

Un intéressant reportage sur la finance internationale et ses protagonistes. La crise de l’Eurozone vue de l’intérieur d’un des centres boursiers et financiers les plus puissants du monde : la City de Londres.

Par Fabrizio Goriawww.linkiesta.it

Marcher dans les rues de la City de Londres, l’arrondissement le plus important de la capitale britannique, est essentiel pour comprendre pourquoi l’Eurozone se retrouve dans une telle crise. Les banquiers vétus de leurs costumes impeccables marchent rapidement en contrôlant sur leur Blackberry ou leur iPhone les cotations du FTSE100, le principal indice du London Stock Exchange, tout en lisant avec curiosité les nouvelles en provenance du continent. Tous parlent de la Taxe sur les transactions financières (TTF), qu’il ne faut pas confondre avec le "Tobin Tax". Celle imaginée par le Prix Nobel James Tobin en 1972 n’était en fait qu’une taxe sur les transactions monétaires.

L’idée d’une taxe sur les transactions financières date de 1936 et nous vient de John Maynard Keynes (ci-dessous), mais en dehors de la City, on dirait que personne ne s’en souvient. Ce qui importe, c’est que la TTF fait peur, dans les cafétérias,dans le métro londonien, les pubs, à l’aéroport de Londres, où se mêlent les ouvriers travaillant aux prochaines Olympiades, et les trolleys des hommes d’affaires qui se dirigent vers Canary Wharf. La France l’introduira, et l’Europe semble également accélérer dans cette direction. « Laissons-les faire, qu’ils dégradent encore plus leur situation s’ils le veulent, mais qu’ils n’essaient pas de s’en prendre à nous, » nous explique Patrick, directeur du management chez Lloyd’s. Un raisonnement partagé par tous ceux qui travaillent sur ces 4 km2. 

 L’histoire de la taxe sur les transactions financières est compliquée. Keynes l’avait imaginée comme un palliatif pour éviter que le déséquilibre de l’information puisse créer des situations de volatilité excessive sur les différents secteurs d’investissements. C’est en 1933 que Keynes pensa pour la première fois à une façon concrète de limiter les oscillations boursières. Trois ans plus tard, il proposait à Wall Street, utilisant sa grande réputation internationale, une imposition sur chaque transaction. L’objectif était simple : si les échanges coûtent davantage, cela introduira un certain caractère dissuasif pour les ventes à découvert. Malgré ces suppositions théoriques, cela n’a jamais fonctionné

En 1972, James Tobin avait pour sa part imaginé une imposition des transactions monétaires. «  Si après 40 ans, cela n’a jamais été appliqué, il y a bien une raison,  » nous explique Patrick avec un grand sourire. Mais il n’est pas facile d’en comprendre les motifs. Chaque jour, ce sont plus de 4000 milliards de dollars qui sont échangés dans le monde, d’après la CLS Bank, la plus grande Clearing House globale sur ce marché. Les intérêts à maintenir le statuquo sont bien trop nombreux.

Selon une récente étude d’Ernst & Young, le coût de la TTF appliquée au système européen pourrait se monter à presque 50 milliards d’euros. Entre la perte de revenus et les autres coûts indirects, la taxe sur les transactions financières pourrait être l’ultime étape vers la fuite totale de capitaux de l’Europe. « Si nous introduisions la TTF, très rapidement les investisseurs partiraient vers des rivages plus sûrs, comme Singapour ou l’Australie, et limiteraient les opérations à la City, mais pas nécessairement les tellement controversés "risques spéculatifs" qui font si peur à l’Europe, » nous explique James, un trader spécialisé sur les obligations chez Threadneedle Investments.

Le Royaume-Uni n’est pas contre l’Europe, mais contre l’immobilisme. Pour la City qui ne dort jamais, le triste ballet autour de la Grèce et de sa faillite est un coup au cœur. Mike est le gestionnaire de l’un des plus importants fonds spéculatifs anglais, et il ne cache pas sa déception sur la façon dont a été gérée l’urgence grecque. « On pouvait et on aurait dû résoudre ce problème bien plus tôt. Cela fait déjà un moment que la Grèce a fait faillite, mais l’Allemagne et la France la traitent comme on traite un malade en phase terminale. Tous deux continuent d’y injecter de l’argent, c’est inutile. Dans 6 mois, on se retrouvera avec le même problème qu’aujourd’hui, voire pire, » nous affirme-t-il. Il est en effet assez facile de lui donner raison, vu la tournure qu’a prise la crise de l’euro.

Et pourtant, dans l’Eurozone, l’idée que la solution à tous les maux soit la taxe sur les transactions financières fait son chemin. «  Ça ne sert à rien, » assène François, un jeune trader français chez Natixis. Depuis son immeuble londonien avec vue sur Saint-Paul et Tate, il semble sûr de lui et de ce qu’il dit. Son costume Prince de Galles trahit un goût différent de celui des Anglais, même si son modus vivendi est similaire. « Quel sens cela a-t-il de taxer les transactions financières ? Le problème est un, et un seul : améliorer les rapports entre les intermédiaires financiers, minimiser les risques de fraude, » nous explique-t-il. Son raisonnement est simple. Au lieu de limiter les transactions en les taxant, il vaut mieux empêcher que ne se produisent des cas de délits d’initiés ou des arnaques comme celle de Bernie Madoff, l’ex-numéro 1 du Nasdaq, qui avait créé une « Chaine de Ponzi » de 50 milliards de dollars. « Pensez aux affaires récentes avec UBS ou MF Global : c’est la faute du système bancaire ou bien celle d’individus isolés ? Ce sont quelques individus qui pénalisent l’ensemble du monde, et pas le système lui-même qui continue d’aider les pays à aller de l’avant, » nous explique François avec une pointe d’agacement.

Bien que tous y soient opposés, les banquiers de la City sont convaincus que la taxe sur les transactions financières sera appliquée. Nous avons croisé Tim, le numéro 1 de l’un des principaux Brokers londoniens, dans une cafétéria près de Bank, la station de métro la plus symbolique de la City. On émerge du sous-sol et on se retrouve face à la Bank of England, si imposante et respectée. Même quand il pleut, les banquiers n’utilisent pas de parapluie : « C’est une vieille habitude, même si de temps en temps, ce n’est pas très pratique,  » raconte Tim qui gère un empire basé justement sur les transactions financières. Et pourtant, il ne semble pas du tout effrayé à la perspective d’une TTF : «  En ce qui me concerne, l’Eurozone peut faire ce qu’elle veut, ici on n’introduira jamais cette mégataxe inutile. Tous savent bien que 70% des transactions financières passent par Londres, et que nous n’accepterons jamais cela, donc, il n’y a pas de problème.  »

Alors qu’en France, le candidat socialiste [dit qu’il] veut une super taxation des plus riches, à la City de Londres, on essaie d’anticiper les risques collatéraux de la crise de l’Eurozone. Cela fait plusieurs mois maintenant que le gouverneur de la Bank of England, Mervyn King, met en garde Westminster et Downing Street contre la possibilité d’un effondrement de l’euro. « Les plans de compensation sont déjà prêts,  » répète souvent King. Et même la Grèce ne leur fait plus peur. Jeffrey est un analyste de la Royal Bank of Scotland, et il n’a aucun doute là-dessus : «  L’Eurozone dans ces conditions, cela n’a aucun sens, la Grèce est déjà dehors pour nous, et il est possible que d’autres pays suivent, peut-être même des pays assez inattendus. »

Et donc, entre un populisme certain et une absence d’éléments concrets, l’histoire de la taxe sur les transactions financières va de l’avant. La prochaine étape sera celle de la France. « Tandis que Paris pousse pour essayer de contrer ce qu’elle désigne comme de la spéculation pure, pour nous les affaires continuent. Peut-être que les mangeurs de grenouilles devraient s’inspirer de ce que nous faisons, au lieu de pleurer sur leur sort comme ils savent si bien le faire, » lance Tim d’un ton acide. La guerre entre le Royaume-Uni et la France n’est pas terminée. Elle a juste augmenté d’un cran. Et Londres semble, plus que jamais, invincible.

 

Traduction assurée par IlFattoQuotidiano.fr

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