Le secret des négociations et le silence complice des grands médias.
Aucune ébauche, aucun plan, aucun schéma du TTIP ne sont aujourd’hui disponibles. Tout ce que nous savons, c’est que le Président Obama et la Commission européenne ont donné mandat à l’ambassadeur américain Michael Froman et au commissaire Karel de Gucht (ci-contre) pour confectionner un Traité transatlantique aux objectifs mirobolants : augmenter le commerce entre les USA et l’UE de 120 milliards de dollars dans les prochaines cinq années et créer deux millions d’emplois. À quel prix ? On ne doit pas le savoir.
Les tractations se déroulent en secret, à huis clos, et dans ces salles secrètes se sont déjà tenues plus de 100 réunions avec les principaux lobbyistes, sur la base de volumineuses documentations partisanes, et à l’insu le plus complet de la société civile. Tout ce donc nous disposons sont des communiqués laconiques ou de brèves déclarations, et quelques rumeurs qui ont fuité. Le plus significatif reste les études commissionnées par les mandataires, et qui ont pour objectif d’embellir les splendides accords qui sont en train d’être conclus. Et c’est en analysant ces extraordinaires objectifs que nous pouvons nous faire une idée de ce qui est en préparation.(*)
Le Transatlantic trade and investment partnership (ou Traité de Partenariat USA-UE pour le commerce et les investissements) nous promet un revenu additionnel par famille de 4 personnes s’élevant à 545 dollars par an, à condition que soient démantelées toutes les lois et règlements de protection de la santé, de l’environnement, du travail, qui interdisent actuellement, ou limitent, la possibilité de réaliser les profits optimaux dans les échanges et les investissements. Ce qui signifie : libre production, circulation et vente sur le marché européen des organismes génétiquement modifiés, de la viande aux hormones et des poulets au chlore. Ainsi que le remplacement du « principe de précaution » par la nécessité de la preuve scientifique sur les produits particuliers, les composants, ou les processus de production. Ce principe de précaution avait été adopté en Europe au milieu des années 1990 à la suite de l’épidémie de la « vache folle », pour réduire ou éliminer – à l’aide de mesures de prévention – des risques qui encore aujourd’hui ne sont toujours pas prouvés scientifiquement. Et donc également, abolition des étiquetages et de la traçabilité des produits alimentaires et chimiques.
Le cas le plus emblématique est celui sur l’extraction et l’exploitation du gaz de schiste (fracking) : environ 11 000 nouveaux puits ont été creusés aux États-Unis l’an dernier, contre une douzaine seulement en Europe, du fait des interdictions et moratoires dans l’attente de la vérification des risques que la technologie d’extraction pourrait faire courir à la sécurité des personnes et de l’environnement.
L’aspect secret des négociations sur le TTIP s’accommode parfaitement de la passivité des grands médias qui se gardent bien de rompre le silence, lequel est à peine égratigné par les habituels médias alternatifs. Et vu que c’est la Commission européenne qui négocie et qui signera l’Accord au nom de, et pour le compte des États membres, nous risquons de nous retrouver fin 2014 – date prévue pour la conclusion des négociations -, avec la mauvaise surprise d’un cadeau déjà tout emballé et prêt à l’usage sous notre l’Arbre de Noël.
Pourtant, il est encore temps de les arrêter. À la fin des années 1990, un paquet-cadeau similaire de libre-échange, l’AMI – Accord multilatéral sur les Investissements -, avait été préparé en secret par ces mêmes oligarchies qui aujourd’hui l’ont réintroduit dans le TTIP, mais il avait été abandonné précisément grâce au fait que son contenu démentiel avait été porté à la connaissance du public. Et il y avait encore à l’époque les Tribunaux auxquels on pouvait avoir recours pour la restitution des droits usurpés. Mais la suppression de l‘État social européen que propose aujourd’hui le TTIP, la subordination affichée de toute protection du travail, de la santé ou de l’environnement au seul « profit », pourrait encore rencontrer de fortes résistances dans le système judiciaire des pays les plus évolués.
Voilà donc la raison d’être du « Tribunal spécial », un organisme supranational et extraterritorial – dont on dit que son siège serait la Banque mondiale – sur le modèle du collège arbitral, dont les verdicts ne pourraient plus faire l’objet d’appels, puisque se situant au-dessus des Constitutions nationales. Il est très probable qu’il s’agira de tribunaux semblables à ceux qui étaient déjà prévus dans les accords comme le NAFTA1, sur le modèle des tribunaux d’arbitrage privés composés de trois arbitres choisis en général parmi des « maîtres de barreau » en faisant abstraction de leurs possibles conflits d’intérêts et qui, une fois nommés, ne doivent plus rendre de comptes à personne. Ils peuvent se prévaloir de n’importe quel outil ou ressource, en général de couteuses prestations de consultants, de tests ou d’expertises, et leurs décisions sont définitives et ne peuvent être contestées. Une gestion de la justice par les riches pour les riches, et qui en réalité n’émet pas de verdicts, mais des amendes, des sanctions, et exige des indemnisations.
Selon cette méthode, la justice se mesure en dollars. La Lone Pine, par exemple, une entreprise californienne de l’énergie a demandé au tribunal spécial institué par le NAFTA(**), de condamner l’État du Canada à lui verser un dédommagement de 191 millions de dollars pour avoir imposé un moratoire sur le fracking, le système de fracturation hydraulique pour l’extraction des gaz ou des pétroles de schiste. Un moratoire adopté suite aux préoccupations quant aux risques que représentaient ces techniques vis-à-vis de la santé et de l’environnement.
La société Philip Morris a, quant à elle, dénoncé l’Australie devant le Tribunal spécial du WTO pour les lois antitabac, et a demandé une indemnisation gigantesque pour les profits non réalisés. Autre exemple, ce sont 3,7 milliards de dollars de manque-à-gagner de ses deux centrales nucléaires allemandes qui ont été demandés par le suédois Vattenfall à l’Allemagne, laquelle avait abandonné la production d’énergie nucléaire après le désastre de Fukushima. On compte pas moins de 514 procès de ce genre ces 20 dernières années : 123 ont été intentés par des investisseurs américains, soit 24 % du total ; 50 par des investisseurs hollandais, 30 par des Britanniques et 20 par des Allemands.
La menace de tels procès avec des montants de plusieurs millions d’Euros intentés par des cabinets juridiques employant des centaines d’avocats pour le compte de grandes multinationales peut à elle seule mettre les gouvernements sur le qui-vive, et les inciter à atténuer, voire à renoncer à promulguer des lois en faveur de la protection du travail, de la santé ou de l’environnement. Si les décisions politiques au niveau local, régional ou national, courent ces risques d’étranglement économique, au-delà du poids d’un verdict pénal ou civil, ce qui est en jeu, c’est la démocratie elle-même.
Mais on voit un peu partout, en Europe comme aux États-Unis, naitre des mouvements sociaux et syndicaux qui revendiquent la transparence des négociations et le bannissement de ces Tribunaux spéciaux dans tout type de Traité.
Continuons à le demander avec force, et tout spécialement aux futurs candidats au Parlement européen.
Mariangela Rosolen
24 mars 2014, ilbenecommune.it
Notes :
(*) www.s2bnetwork.org a mis à disposition ce contenu. La traduction italienne est disponible sur le site d’Attac Turin et d’Attac Italia avec le titre « Un traité d’un autre monde » : www.attactorino.org et www.attac.it.
Sur ces mêmes sites, on peut trouver la vidéo de la conférence sur le TTIP donnée à Turin le 29 janvier dernier par Alessandra Algostino, professeure associée en Droit constitutionnel comparé de l’Université de Turin.
(**) NAFTA : North American Free Trade Agreement, ou Accord de libre-échange nord-américain.
Pour en savoir plus :
- TTIP/TAFTA : L’arrêt des négociations n’est pas négociable, Nouvelle Donne
- Le Grand Marché transatlantique, ATTAC France
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