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Mai 07

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La vraie mission du mirobolant Matteo Renzi : brader ce qui reste de l’Italie ?

Il y a de cela deux mois, peu après la nomination de Matteo Renzi à Palazzo Chigi [siège du premier ministre italien], un ami qui travaille dans la finance et qui me suit avec beaucoup de sympathie, mais aussi avec un certain scepticisme par rapport à mes thèses, m’a tenu à peu près ce discours :

« C’est la troisième fois qu’une grande banque d’affaires parle en bien de la Bourse de Milan et suggère d’investir dans les titres italiens. Même approche, mêmes arguments, je ne sais pas ce qui se passe. La situation pour nous ne semble pas avoir changé, mais ces coïncidences me font  un drôle d’effet. Je pense que cette fois, tu as raison. »

Dans les grands journaux et sur la plupart des sites Web, rien ou presque, si ce n’est quelques lignes dans Il Sole 24 ore.

Enfin, entre fin mars et début avril, l’information jusque-là réservée à quelques privilégiés du milieu bancaire devient publique. Les quotidiens commencent à en faire les gros titres. C’est La Reppublica qui se lance le 25 mars, par l’intermédiaire de Federico Fubini qui avertit :

« Les fonds [d’investissement] prêts à acheter : mais il s’agit d’une confiance temporaire, il faut réformer les dépenses [publiques] et la bureaucratie. »

Fubini poursuit : « Cela faisait des années que l’Italie ne recueillait pas un tel intérêt sur les marchés, » révélant le fait que quelques jours auparavant :

« … un groupe d’investisseurs s’est réuni au siège de la Royal Bank of Scotland, au coeur de la City de Londres. Les gestionnaires des fonds présents étaient au nombre de trois cents et ensemble, ils représentaient des institutions contrôlant chaque jour plusieurs milliers de milliards de dollars sur le marché global. Parmi eux, on trouvait des colosses américains comme Blackrock, Fidelity, Blackstone, et des Hedge Funds de premier plan comme celui de George Soros ou Glg, des fonds de pension, des banques, sans oublier l’antique aristocratie européenne liée à l’épargne gérée par Schroders. (…) 70% de ces investisseurs se sont dits prêts à « acheter des actifs italiens » tandis que les 30% restants ont indiqué ne pas vouloir le faire. »

Dans la foulée, le Corriere della Sera affichait en première page :

« Des capitaux étrangers chassent en Italie. » Fabrizio Massaro explique que « les fonds US, arabes et chinois ciblent la bourse et le "Made in Italy". Dans l’oeil du viseur : les banques, l’industrie manufacturière, la mode et le tourisme. »

Et il poursuivait :

« C’est ainsi que Goldman Sachs définit sa nouvelle politique. Garzarelli, économiste en chef du colosse américain : prix bas et nouvelle stabilité. Par rapport à l’Espagne, vous avez des fondamentaux plus solides. Renzi ? Pour les marchés, c’est un leader qui sort de l’ordinaire. »

Le journal Il Sole 24 ore abandonne sa réserve et titre : « La Bourse [italienne] fait le plein de capitaux étrangers, » sous la plume de Morya Longo.

Ces derniers mois, le ton a complètement changé. La grande finance internationale croit en l’Italie. Et de nouveaux détails intéressants se font jour. Par exemple, le fait que Matteo Renzi a rencontré le PDG de Blackrock, Larry Fink [à droite sur la photo ci-dessus], le plus grand fonds d’investissement au monde (un colosse de 4300 milliards de dollars qui, si c’était un État, serait la 4e puissance mondiale derrière les USA, la Chine et le Japon). Un événement salué par tous. « Commentaires positifs, » s’exclame Radiocor tandis que La Reppublica s’enthousiasme : « Le plus grand fonds d’investissement du monde chez Renzi. Blackrock croit en la reprise italienne. »

Peu à peu le puzzle s’assemble. En Italie, on le sait bien, la situation ne s’est pas améliorée par rapport à celle d’il y a quelques mois. Pire, à en juger par les données désastreuses sur le chômage et les chiffres record de la dette publique, elle a même empiré. Mais ces mêmes marchés qui en 2011 avaient jeté le discrédit sur l’Italie en utilisant arbitrairement l’instrument du « spread »(*) – alors que l’Italie s’était bien mieux sortie de la crise des subprimes que d’autres pays -, décident aujourd’hui d’ignorer les mauvaises nouvelles. Tout à coup l’Italie est devenue excellente, compétente, prometteuse, et digne de confiance.

Je ne suis pas économiste, mais j’ai suivi de près un certain nombre de crises financières et on ne me fera pas avaler ça. Ce qui attise l’intérêt des importants fonds d’investissement, des grandes banques d’affaires et des multinationales, ce ne sont pas les valeurs relativement basses (mais pas tant que ça) à la Bourse de Milan. Il y a autre chose. Et il semble que tout cela soit lié à l’accession aussi rapide qu’inattendue de Matteo Renzi à Palazzo Chigi.

La clef se trouve peut-être dans l’article – déjà cité – du Corriere della Sera, écrit par Massaro (« Chasse aux capitaux étrangers »). Lisez ce passage :

« Mais l’acquisition d’actions à la Bourse de Milan pourrait être seulement un avant-goût de ce qui s’annonce comme la plus grande opération de privatisation de ces dernières années. Pier Carlo Padoan lui-même, ministre italien de l’Économie, n’a pas caché l’ambition du gouvernement de vouloir se mettre en lisse : « L’attention des marchés va croissant, et doit être mise à profit de la meilleure manière, » a-t-il déclaré ces derniers jours depuis Cernobbio. L’objectif des privatisations est multiple : « accroitre l’efficacité des entreprises privatisées et évidemment, réduire de manière substantielle la dette publique. » La première salve d’essais pourrait concerner La Poste : « Nous avons lancé le processus de privatisation, c’est un gros défi pour le pays, et il sera soumis à l’examen des marchés. » Une grande partie du destin politique du gouvernement se joue sur le succès des ventes par l’État : les sommes encaissées par le Trésor pourraient s’élever à plus de 15 milliards pour La Poste (dont les 40% détenus par l’État se montent déjà à 4-5 milliards), Fincantieri, Enac, Cdp Reti, Sace, Grandi stazioni, StMicroElectronics. Pour les fonds d’investissement, il s’agit d’acheter à prix avantageux, et pour les banques d’affaires de gagner sur les commissions sur les ventes. »

Soudain tout devient plus clair, ou du moins, un soupçon commence à poindre. Comme une impression de déjà-vu. Les grands gestionnaires internationaux n’ont pas oublié et restent reconnaissants envers Romano Prodi, le leader de la gauche modérée, qui avait permis le démantèlement de l’IRI et avait mené à bien un ambitieux projet de privatisations. On le sait, en Italie, seule la gauche peut se permettre certaines choses. Ces privatisations se révélèrent être une excellente affaire pour qui avait acheté et une belle arnaque pour qui avait vendu, ou par le remplacement de monopoles publics par des monopoles privés. Ce sont des choses qui arrivent, bien sûr. Mais cela fait réfléchir. Et nous viennent à l’esprit quelques soupçons.

Renzi est de gauche, tout comme Prodi. Comme lui, il est très apprécié à Wall Street, par les grands fonds d’investissement comme Blackrock, et à la City. Et il plus décidé que son prédécesseur Enrico Letta qui lui-même jouissait d’une bonne réputation dans ces milieux-là, mais était trop lent et trop prudent, et quand il en a eu besoin, personne ne s’est levé pour le défendre.

Et si la vraie mission du mirobolant Matteo Renzi était celle de mener à bien les privatisations, autrement dit de brader ce qui reste de valeur en Italie ?

Marcello Foa
Lundi 5 mai 2014

Source : IlGiornale  (Traduction : IlFattoQuotidiano.fr)

 

Note : (*) Spread : terme anglosaxon désignant la différence entre taux d’intérêt. En Italie ce terme a fait la une des journaux au moment où la différence entre les taux d’intérêt allemands et italiens était au plus haut. Le Spread est revenu aujourd’hui à des valeurs historiquement basses pour l’Italie.

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